le Progrès du lundi 24 avril 2017
MACRON-LE PEN, POUR UN SECOND TOUR RÉVOLUTIONNAIRE
Ni droite, ni gauche : l'accession au second tour d'Emmanuel Macron (23,8 %) et de Marine Le Pen (21,7 %) qui devancent François Fillon (20 %) et Jean-Luc Mélanchon (19,2 %) au coude à coude marque une rupture totale. Les appels de gauche et droite à voter pour le candidat d'En Marche ! l'installent en favori.
Un vieux monde politique s'est donc écroulé ce 23 avril 2017. Un autre a été recomposé, sans les familles traditionnelles. Le deuxième tour de cette présidentielle se déroulera sans candidat socialiste ou libéral-gaulliste. Il ne donnera pas lieu à l'affrontement droite-gauche, ce "classico" de la Ve République.
Faute de candidat naturel et indiscutable armé d'un programme de rassemblement, les deux grands partis se sont convertis à des primaires dévastatrices et ont accéléré leur déliquescence en six mois. Le pays n'assistera pas à un choc de Césars auréolés de triomphes et perclus d'hématomes aux gré des conquêtes et des coups reçus au fil de longues carrières.
Pour mesurer le niveau de surprise que constitue cette première place d'Emmanuel Macron, 39 ans, à l'échelle du temps politique, il suffit de se souvenir qu'en 2012, Jacques Cheminade était plus connu des Français que le jeune énarque alors démissionnaire de la maison Rothschild pour rédiger le programme économique de Hollande.
Deux ans au ministère de l'Économie, un profil de gendre idéal, une marque d'autocars à bas coût, une romance amoureuse atypique... Comparer ce CV de "manager junior" avec les décennies d'abnégation de François Mitterrand et de Jacques Chirac, avec la résilience et les rebonds de Nicolas Sarkozy et François Hollande, c'est mesurer la vitesse des bouleversements de notre époque mondialisée et numérisée.
Macron favori du second tour
Emmanuel Macron est le résultat du "dégagisme" exprimé par le peuple exigeant des résultats probants et des comportements exemplaires. Le lauréat est trop jeune pour porter le fardeau de vingt ans d'échecs et de dérives. Il a aussi bénéficié du vote centriste, du vote utile venu de gauche pour éviter un second tour Fillon/Le Pen et de la chance du champion. La droite s'est choisie un candidat droitier plombé par des affaires d'argent. Le PS a oublié que son électorat se situait moins à gauche que sa base militante en désignant un frondeur gauchisant.
L'espace central s'est élargi comme jamais sous les pas du candidats d'En Marche !. Ce dernier aborde le second tour en immense favori pour trois raisons : il est en tête. Les appels au vote anti-Le Pen affluent à commencer par ceux de François Fillon et Benoît Hamon. Le FN peine à bonifier ses succès de premier tour parce qu'il présente des lacunes rédhibitoires dans les votes urbains et seniors.
Le Pen dans la continuité
La qualification de Marine Le Pen ne relève pas de l'accident comme celle de son père en 2002. Elle s'inscrit dans une logique de progression au premier tour pas forcément spectaculaire : un million de voix de plus qu'en 2012 lui a suffi. Le "dégagisme" prend dans le vote Front national une autre signification. Il ajoute au rejet des élites et pouvoirs en place ceux de l'immigré, de l'Europe, de la métropole toute puissante. Contrairement à François Fillon, Marine Le Pen n'a pas ou peu pâti des affaires.
Fillon paye cher les affaires
Les sommes brassées dans les soupçons d'emplois fictifs et les cadeaux de luxe ont coûté cher à la droite. Signe de ses divisions. Le parti L.R a atteint un tel niveau qu'il a été incapable de changer un candidat promettant moralisation de la vie politique, rigueur budgétaire, efforts de gestion sans s'imposer à lui-même ces principes.
François Fillon a perdu une élection imperdable. Il a déstabilisé et désabusé le socle de la droite, que Nicolas Sarkozy avait tout de même préservé à 27 % en 2012. La responsabilité personnelle du candidat est lourdement engagée. Il l'a assumée.
Le PS, encore plus divisé, a sombré. Benoît Hamon peut se reprocher une erreur stratégique : après son succès à la primaire, il a ménagé Jean-Luc Mélenchon au lieu d'attaquer frontalement ce concurrent direct. Lui aussi s'est retrouvé isolé dans son propre parti. Mais pouvait-il demander un engagement total à une majorité de ministres, de députés qu'il n'a cessé de vilipender pendant trois ans ?
Mélenchon exploit et déception
Cette gauche mécontente des réformes du quinquennat disposait d'un héraut tribunitien préparé depuis cinq ans. Jean-Luc Mélenchon ajoutait le discours anti-européen à l'attitude anti-Hollande. Il obtient le meilleur score d'un candidat de gauche non socialiste depuis Jacques Duclos en 1969 (21 %).
Sa performance correspond à un courant d'opinion et récompense une campagne innovante. Mais il ne pouvait espérer mieux en raison de trous dans les régions de l'est et du centre-ouest pro-européennes.
D'ici au second tour, Emmanuel Macron devra montrer sa capacité à rassembler face à Marine Le Pen qui le présentera sans relâche en candidat du système et se posera en patriote au parangon de la mondialisation. Car ce bon score et les appels au vote en sa faveur ne garantissent pas au vainqueur d'hier soir une majorité de gouvernement aux législatives de juin.
Contrairement aux précédents, le troisième tour dans ce paysage recomposé s'annonce incertain. Mais après avoir renversé la table, les Français doivent d'abord écrire l'histoire du deuxième le 7 mai. Pascal Jalabert
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