le Progrès du lundi 6 février 2017
GÉNÉTIQUE - RÉVOLUTION DES "CISEAUX DE L'ADN : FAUT-IL AVOIR PEUR ?
La nouvelle méthode d'édition du génome permettra de guérir des maladies, mais pourrait aussi se transformer en arme de destruction massive. Elle suscite autant d'espoirs que d'inquiétudes.
Avec la technique de modification génétique CRISPR-CAS9, le pouvoir de l'homme sur le vivant a changé de dimension. Cette intervention permet de couper l'ADN et de la moduler à façon. Les scientifiques peuvent à présent modifier génétiquement n'importe quel organisme vivant avec la même facilité que s'ils avaient des ciseaux.
CRISP-R est un bouleversement historique, qui suscite autant d'espoirs que de craintes.
Ressusciter les mammouths
Depuis sa mise au point en 2012, les laboratoires se sont emparés de cette découverte révolutionnaire. "Environ 1100 brevets d'application ou d'amélioration de la technique ont été déposés dans le monde. CRISPR-CAS9 est testé sur près de 100 espèces. Les enjeux financiers sont de l'ordre de deux milliards de dollars", explique Carine Gionannangeli, chercheuse CNRS au Laboratoire "Structure et instabilité des génomes".
Des Américains ont créé un champignon de Paris qui ne brunit pas quand on le coupe. Des chercheurs de l'université de Californie ont réussi à modifier génétiquement les cellules sexuelles de moustiques, qui transmettent le parasite responsable du paludisme. D'autres rêvent de ressusciter les mammouths grâce à ce système de "copier-coller" de l'ADN.
Les Chinois ont testé ce scalpel surpuissant sur des patients atteints de cancer. Mais aussi des embryons humains (non viables) pour tenter de corriger un gène responsable d'une maladie génétique du sang. Ils n'y sont pas parvenus.
"La technique est très efficace pour désactiver un gène et comprendre à quoi il sert. En revanche, il y a encore beaucoup d'améliorations à trouver sur les mécanismes de réparation qu'il permet. Par ailleurs, on peut introduire des modifications en dehors de la cible visée et il est difficile de prédire tous les effets induits par une correction effectivement réalisée", précise Carine Gionannangeli.
Risque de bioterrorisme ?
CRISP-R n'est pas encore un outil parfait, mais il soulève déjà d'immenses questions éthiques. Les modifications faites sur l'embryon entraîneraient des conséquences irréversibles sur toute sa descendance. Et où poser la limite des modifications du vivant pour l'amélioration de l'humanité ?
La menace de CRISPR-CAS9 se situe aussi à un autre niveau : sa facilité d'utilisation. "Même quelqu'un qui a juste des bases en biochimie peut s'en servir", confirme Carine Gionanangeli. Des "kits Crispr" sont même déjà en vente sur Internet !
Entre des mains mal intentionnées, comme celles de terroristes pour créer des virus d'un genre nouveau, ils pourraient avoir des conséquences terribles, comme l'ont souligné les conseillers scientifiques de Barack Obama. Dans son rapport annuel sur les menaces touchant les États-Unis, en février dernier, le patron du renseignement américain a classé CRISPR-CAS9 au rang des armes de destruction massives potentielles... E.B.
Une découverte franco-américaine
La révolution date de 2012. Cette année-là, la Française Emmanuelle Charpentier et l'Américaine Jennifer Doudna publient un papier qui fera date dans l'histoire des sciences. Elles décrivent le fonctionnement de la technique CRISPR-Cas9 pour modifier l'ADN.
C'est l'aboutissement de 20 ans de recherches sur un mécanisme de défense immunitaire naturel de certaines bactéries contre des virus. Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna démontrent qu'il peut être détourné pour aller casser un segment de l'ADN qu'ont choisi les scientifiques. Quelques mois plus tard, d'autres scientifiques prouvent l'efficacité du mécanisme en dehors des tubes à essai : le scalpel de l'ADN fonctionne sur des cellules en culture, et sur le zebra fish.
La machine CRISPR-Cas9 est lancée. Son usage se répand comme une traînée de poudre dans les laboratoires du monde entier. Et les deux scientifiques sont couvertes de prix et de récompenses. Un succès si rapide que sa co-créatrice, la Française Emmanuelle Charpentier, s'inquiète "qu'elle fonctionne si bien et rencontre un tel succès qu'il serait important d'évaluer les aspects éthiques de son utilisation.
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