le Progrès du samedi 26 septembre 2015
SOCIETE - L'ère numérique à l'assaut de la politique. La loi Lemaire est mise en ligne pour discussion publique, c'est une première en France. La République du XXIe siècle sera numérique. L'administration et les collectivités ont amorcé leur transition.
5,5 % C'est la part que pèse le numérique dans le PIB français, selon le cabinet McKinsey. Ce qui représente environ 110 milliards d'euros. Par ailleurs, le numérique contribue à lui seul à générer 25 % de la croissance du pays et représente 3,3 % des salariés.
"Cette loi pose les fondements d'une ambition économique et d'un projet de société à l'ère numérique. C'est pourquoi, j'ai voulu que sa réalisation ne soit pas réservée aux seuls experts, mais qu'elle soit collaborative et ouverte à tous ceux qui veulent y participer.". Axelle Lemaire, Secrétaire d'état chargée du Numérique
Aujourd'hui, la loi d'Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat chargée du numérique, est mise en ligne trois semaines pour une discussion publique. La démarche est particiative : les internautes pourront commenter les articles de la loi, les amender, en proposer de nouveaux. D'autres pourront liker (c'est-à-dire montrer son approbation en cliquant) ces suggestions, comme on le fait sur Facebook.
A l'issue de la concertation, une comité interministériel décidera des suggestions retenues. "On est dans une démarche de co-écriture" d'un projet de loi, c'est inédit !", se réjouit-on dans l'entourage d'Axelle Lemaire.
Cette loi "pour une République numérique" doit dépoussiérer la "loi de confiance dans l'économie numérique", qui date de 2004. La préhistoire, à l'échelle du numérique. A l'époque, le smartphone n'existait même pas...
Un nouvel art de la com'
Depuis, un raz-de-marée numérique a déferlé sur la France. La vie quotidienne, mais aussi l'économie ont été bousculées. Mais la République a-t-elle accompli sa mue numérique ? En apparence oui. Ainsi - comme les citoyens - les hommes politiques sont hyper-connectés. Pas un qui ne pépie sur Twitter. Une agitation trompeuse, selon Laure de la Raudière, député de l'Eure-et-Loir (Les Républicains), spécialiste de ces questions : "Le numérique change la manière de communiquer, mais n'empêche pas notre profession d'être l'une des plus détestées de France. Si l'on n'a pas de résultats, le numérique ne change rien". Et d'ajouter, cinglante : "Les décideurs n'ont pas compris le enjeux, par exemple pour la croissance, l'emploi ou la formation. La profondeur de la mutation de la société leur échappe".
Impôts : généraliser la télédéclaration dès 2016
Côté administration, la dématérialisation - ou e-administration enregistre de belles avancées. En 2014, 13 millions de contribuables ont déclaré leurs revenus en ligne. Et Bercy a fait savoir, hier, qu'il envisage une généralisation de la télédéclaration des revenus à partir de 2016, de manière "souple et progressive".
Autre chantier : l'ouverture des données publiques. La loi sur le numérique crée la notion de "données d'intérêt général". Même si pour l'heure, l'Eldorado promis se fait attendre. Ce qui inquiète. "Le danger, si les collectivités tardent à s'approprier cette manne des données, c'est que des entreprises privées récupèrent des missions dévolues au service public", craint Jean-Marie Bourgogne, ancien responsable de la stratégie numérique de la ville de Montpellier.
Mais surtout, le citoyen connecté aspire à être un citoyen plus actif. "La transparence, la participation et la collaboration sont des valeurs notions étroitement liées au numérique, et qui changent la manière d'être citoyen", explique Jean-Marie Bourgogne. Seule Ségolène Royal, qui pointait le rejet des élites et des urnes, avait fait des propositions en ce sens, lors de la campagne présidentielle de 2007.
Sa "démocratie participative" avait été accueillie avec dédain par la classe politique. "Elle était en avance", admet aujourd'hui Laure de la Raudière. Ryad Benaidji
*Pour participer à la consultation : www.contribuez.république-numerique.gouv.fr
Le travail et l'emploi bouleversés
"Nous n'en sommes qu'au début du vrai changement, une transformation profonde du travail", affirmait à notre journal le DRH d'Orange, Bruno Mettling. Pour preuve, son rapport sur "transformation numérique et vie au travail", remis à la ministre du Travail. Pour preuve encore, la polémique sur UberPop, (provisoirement) conclue par le Conseil constitutionnel... Le sujet sera au centre de la Conférence sociale, le 19 octobre, dans toutes ses implications : "Le temps et les conditions de travail, la mesure de la charge de travail, la sécurisation du forfait-jour", a promis la ministre du Travail Myriam El Khomri.
Et c'est elle sans doute qui portera ces mesures dans un projet de loi, fin 2015 : "Le social n'est pas un sous-produit de l'économie", avertit le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger, contre les ambitions du ministre de l'Economie Emmanuel Macron. Celui-ci présentera plus tard son propre projet de loi "numérique", sur l'adaptation de l'économie, et peut-être de la fiscalité.
Président du Conseil national du numérique
"Un droit de votre chez Google et Amazon ?"
La concertation à propos de la loi Lemaire débute. On a pourtant l'impression que les usages du Web évoluent bien plus vite que les lois...
N'oublions pas que la révolution numérique s'est imposée en seulement quelques années. Il y a dix ans, les smartphones n'existaient pas. Aujourd'hui, on parle de Big data, demain ce sera l'internet des objets. Le numérique est devenu une question centrale, aussi bien pour l'innovation que pour les citoyens. Mais le droit n'a pas suivi. Il faut donc s'adapter à une civilisation nouvelle.
D'autant que faute de régulation, le numérique peut devenir source d'inégalités...
Dans les années 90 et 2000, on se focalisait sur l'équipement : il fallait réduire la fracture numérique. Aujourd'hui 90 % des Français sont connectés. Le sujet c'est la pratique du Web et sa culture. Ne pas savoir utiliser le Web est une source nouvelle d'exclusion. Et si l'on connaît mal sa culture, on risque d'être manipulé. La plupart des utilisateurs ignorent ce qu'est un algorithme. Ils ne savent pas que les résultats d'un moteur de recherche diffèrent en fonction des précédentes requêtes. Et ce n'est pas une question de génération. Les "digital natives" (les générations nées avec le numérique, ndlr) ont une bonne pratique du Web mais le regard critique, ça s'enseigne.
Le numérique change aussi le rapport à l'Etat...
Une redistribution gigantesques des pouvoirs s'opère. De grandes plateformes ont émergé. L'Etat doit donc se réinventer. Il a maîtrisé les infrastructures, aujourd'hui il doit maîtriser ces "infostructures". Si l'Etat ne se réinvente pas, on en sera réduit à demander un droit de vote à Google ou a Amazon, car ce sont ces entreprises qui géreront une partie de nos vie.
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