Franceinfo - le jeudi 4 octobre 2018
ENQUETE FRANCEINFO. "Un plausible scandale sanitaire" : des cas de malformations inexpliquées à la naissance dans trois communes de France
Depuis une décennie, trois communes françaises ont vu naître des enfants présentant des malformations. Un rapport de Santé publique France doit être rendu jeudi 4 octobre sur ce phénomène inexpliqué. Franceinfo a mené l'enquête
Mélinda Mostini, accompagnée de ses deux enfants, dont Léo, 7 ans, atteint d'une malformation du bras. (MATTHIEU MONDOLONI / FRANCEINFO)
L'agence Santé publique France a rendu jeudi 4 octobre un rapport sur un phénomène inexpliqué et inquiétant relevé dans trois zones, en Loire-Atlantique, en Bretagne et dans l'Ain. Depuis dix ans y sont recensés des cas d'enfants, nés avec des anomalies des membres supérieurs. Simple hasard ou conséquence d’une exposition aux pesticides ? Dans son rapport, Santé publique France a établi des "excès de cas" en Loire-Atlantique et en Bretagne, mais pas dans l'Ain. Certains scientifiques alertent pourtant sur un possible scandale sanitaire.
Sept cas autour d'une même commune dans l'Ain
Les premiers cas sont recensés en 2011 dans le département de l'Ain, comme le pointait une enquête de "L'Œil du 20 heures". Le Remera, le Registre des malformations en Rhône-Alpes, signale à l'époque sept cas d'"agénésies transverses des membres supérieurs", autrement dit des bébés nés sans mains, parfois sans une partie de l’avant-bras.
Le signalement a été réalisé car les parents de ces sept enfants, nés entre 2009 et 2014, résident tous dans un même périmètre, une zone d'un rayon de 17 km en territoire rural. Ici, le nombre de cas de malformations, rapporté au nombre de naissances, est 50 fois plus élevé que la normale. C’est ce qu’on appelle, en termes scientifiques, un "cluster", une accumulation de cas inhabituels, qui attire l’attention des autorités sanitaires.
Situation similaire en Loire-Atlantique et Bretagne
Trois ans plus tard, d’autres cas sont signalés, cette fois, en Loire-Atlantique. En avril 2014, une note confidentielle de l’Institut de veille sanitaire, aujourd’hui regroupé au sein de Santé Publique France, reconnaît l’existence d’un deuxième cluster, avec trois enfants nés en 2007 et 2008, sans main ou sans avant-bras autour de Mouzeil, une commune de 2 000 habitants située à une quarantaine de kilomètres de Nantes.
En 2015, une nouvelle zone est identifiée, cette fois à Guidel près de Lorient, en Bretagne. Là aussi, trois enfants sont nés entre 2011 et 2013, avec des agénésies transverses. Isabelle Grassin, la mère de l’un d’eux, alerte alors les autorités sanitaires. Cette femme, médecin elle-même, s'inquiète du nombre de cas sur une zone si réduite.
Par rapport aux chiffres attendus, c'était vraiment bien plus élevé, donc ça m'a perturbée.à franceinfo
Isabelle Grassin décide donc de contacter sa gynécologue de l'époque. "Elle travaillait depuis très longtemps sur la région, elle était aussi interrogée. À ce moment-là je me suis orientée vers le registre breton. Je les ai contactés pour leur signifier cette situation", explique Isabelle Grassin.
Une enquête est ouverte à Guidel
A la suite de ces signalements, les autorités réagissent, conformément à la procédure. Une enquête est diligentée auprès des trois familles de Guidel touchées par ce phénomène. Mélinda Mostini, la maman de Léo, 7 ans, atteint de malformation, se souvient que l'hypothèse d'un problème environnemental a rapidement été évoquée.
On a eu la visite d'un médecin qui nous a posé une multitude de questions sur nos habitudes alimentaires, sur notre façon de consommer les médicaments ou encore les produits d'entretien et il n'y a eu aucun facteur commun à ces trois familles à franceinfo
Melinda Mostini explique qu'après la visite du médecin "on se pose la question de savoir si ça peut-être environnemental". Elle évoque "les engrais, les pesticides" et se dit "il y a peut-être quelque chose qui s'est passé à cette période sur la commune".
L'origine de ces malformations toujours inconnue
Depuis ces enquêtes, il n’y a eu qu’une seule réunion nationale entre tous les services concernés. Elle a eu lieu en 2016, et d’après le compte-rendu que franceinfo a pu se procurer, c’était une réunion très agitée. Les participants n’étaient pas d’accord entre eux.
D’un côté, Santé Publique France estime que la multiplication de ces enfants nés avec une anomalie est sans doute le fruit du hasard. De l’autre, le Registre des malformations de Rhône-Alpes et sa directrice, l’épidémiologiste Emmanuelle Amar, contestent cette affirmation. "Exactement la même malformation, ça ne s'est jamais passé dans l'histoire des malformations", affirme-t-elle.
La probabilité que ça soit lié au hasard est plus qu'infinitésimale. On est face à un plausible scandale sanitaire.à franceinfo
Selon Emmanuelle Amar, "il faut réunir des spécialistes pour définir de quel type d'études nous avons besoin pour ce type de signalements. Or, la réponse jusqu'à présent est de dire : 'on ne veut pas savoir quel type d'études car on ne veut pas faire d'études'. Et ça, c'est irresponsable", conclut-elle.
Les pesticides responsables des malformations ?
Pour Emmanuelle Amar, il y a de fortes chances que ces malformations soient causées par l’exposition des mères à des produits phytosanitaires, peut-être des pesticides, pendant leur grossesse.
Pour l’instant, cette piste n’a pas été explorée confirme Anne Galley, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes à Santé Publique France. Elle promet toutefois la publication d’un rapport. "Nous, on n'investigue pas sur l'utilisation des pesticides parce que ce n'est pas notre métier, ni notre mission, explique-t-elle. Par contre, ce qu'on fait, c'est qu'on s'interroge sur l'impact possible sur les animaux puisqu'on sait que c'est un modèle de départ." Selon Anne Galley,"si on apprend qu'il y a un certain nombre de malformations dans le monde animal, à ce moment-là, effectivement, ça peut ouvrir des questionnements, mais ce n'est pas le cas, là."
Pourtant, selon nos informations, il y a bien eu des cas de malformations recensés sur des animaux dans l’Ain, sur des veaux plus précisément et dans la même zone. Là encore sans que les autorités soient allées plus loin en termes d’investigations. Il faudrait des moyens supplémentaires, mais ils manquent. Au point de stopper les subventions du Registre des malformations en Rhône-Alpes, pourtant à l’origine de l’alerte. Déjà privé du soutien financier de la région depuis la rentrée, le Registre a appris qu’il risquait de perdre celui de Santé publique France, et pourrait fermer ses portes d’ici la fin de l’année.
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