le Progrès du dimanche 6 septembre 2015
CRISE MIGRATOIRE - Faut-il attaquer l'Etat islamique en Syrie ? La France n'exclut plus des frappes contre les djihadistes dans le pays dévasté par la guerre depuis quatre ans. Alors que des milliers de Syriens fuient leur pays pour rejoindre l'Europe, François Hollande envisagerait des frappes aériennes sur l'organisation Etat islamique en Syrie. Et plus seulement en Irak.
4 millions. Le nombre de Syriens ayant quitté leur pays depuis le début du conflit. Environ 348 000 ont été accueillis en Europe, selon le Haut Commissariat aux Nations Unies. Ils sont près de 1,9 million en Turquie, plus d'1,1 million au Liban, 630 000 en Jordanie ou encore 250 000 en Irak.
"Nous sommes face à un événement dramatique. La crise est là pour durer. Plus tôt on l'acceptera [...] plus tôt on sera en mesure d'y répondre efficacement". Frederica Mogherini, Chef de la diplomatie de l'Union européenne, sur la crise migratoire, à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères, hier, à Luxembourg
Face à la crise migratoire, l'idée de s'attaquer à la source du problème - le conflit en Syrie qui pousse des millions de civils à l'exil - prend chaque jour un peu plus de consistance chez les responsables politiques
François Hollande, le président de la République, envisage des frappes aériennes contre l'organisation Etat islamique en Syrie, selon le journal le Monde. La décision, qui aurait été prise lors d'un conseil de défense vendredi devrait être précisée par le chef de l'Etat lors de sa conférence de presse de rentrée, lundi.
Bachar al-Assad
Coalition contre l'EI
Depuis une dizaine de jour, les ténors de la droite faisaient monter la pression sur le sujet. François Fillon (LR) fixait, en pleine crise migratoire, comme urgence de "mettre fin" au conflit, Bruno Le Maire (LR) appelait à envoyer des troupes au sol.
Si pour l'instant la France s'est refusée à bombarder la Syrie, alors qu'elle est membre de la coalition qui frappe l'Etat islamique dans l'Irak voisin, ce n'est pas par manque de fermeté. En 2013, François Hollande plaidait pour une intervention militaire contre Bachar al-Assad, qui venait d'utiliser des armes chimiques sur sa population. Mais il n'avait pas été suivi par son allié américain Barack Obama.
C'est plutôt la complexité de la réalité sur le terrain qui freinait l'Elysée, cibler l'EI ayant pour conséquence de renforcer le dictateur Bachar al-Assad. Car les Syriens qui fuient la guerre ne fuient pas que les djihadistes. Ils fuient l'EI et Bachar al-Assad. Hier, à Paris et en province, plusieurs milliers de manifestants s'étaient rassemblés en soutien à ces réfugiés qui déferlent sur l'Europe.
ETAT ISLAMIQUE
Impasse militaire, diplomatique
Depuis quatre ans, la Syrie s'enfonce dans un conflit qui ressemble à une impasse. En mars 2011, c'est par une première manifestation dans les rues de Damas qu'a débuté le mouvement de révolte contre le régime syrien. Au départ, affrontement entre le régime de Bachar al-Assad et la rébellion, la guerre se transforme peu à peu en un conflit complexe, avec des groupes djihadistes de plus en plus puissants. L'implantation de l'Etat islamique, qui établit un califat à cheval sur la Syrie et l'Irak, achève de brouiller la donne.
Militairement, le conflit s'enlise, aucune des parties ne parvenant à prendre suffisamment l'ascendant sur l'autre pour mettre un terme à la guerre. Depuis l'automne 2014, des frappes aériennes de la coalition menée par les Etats-Unis contre l'EI n'ont pas permis de faire la différence sur le terrain. Diplomatiquement, les discussions bloquent entre les occidentaux et les soutiens du régime syrien, la Russie et l'Iran, sur la question du départ Bachar al-Assad.
Sortir de l'ornière est pourtant une urgence. Depuis le début de la guerre, 220 000 Syriens ont trouvé la mort, 4 millions ont fuit la Syrie et 7,6 millions sont déplacés dans leur propre pays. Elodie Bécu
2000 - Bachar al-Assad succède à son père Hafez à la présidence de la République arabe syrienne.
2011 - Début du soulèvement populaire contre la dictature du clan al-Assad, dans la foulée du "printemps arabe" né en Tunisie. Dès juin, l'opposition dénonce plus de 1300 morts dans la population civile, dus à la répression du régime.
2012 - L'intensification des combats provoque de gros mouvements de populations. Plus d'un million à l'intérieur du pays, et déjà près de 400 000 vers le Liban, la Jordanie, la Turquie...
2013 - L'organisation de l'Etat islamique en Irak et au Levant s'implante au nord-est de la Syrie, et va bientôt s'affronter avec les Kurdes qui peuplent cette région. En août, Barchar al-Assad utilise des armes chimiques contre les rebelles. La France pousse à une intervention militaire, mais les Etats-Unis et la Russie choisissent la voie diplomatique.
2015 - Les troupes de l'Etat islamique détruisent des monuments du site archéologique de Palmyre.
Conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique
"Une action de la France aurait un impact limité"
Frapper Daech en Syrie permettra-t-il de régler la crise des migrants ?
Cette idée est un peu simpliste. Quatre millions de Syriens ont déjà quitté leur pays. Attaquer Daech ne va pas changer le sort des milliers de personnes en exil. Prévoir une opération militaire ne dispense pas de s'occuper des réfugiés qui sont sur les routes d'Europe. L'enjeu de frappes est de bousculer l'Etat islamique en Syrie et de tenter de limiter son avancée.
Que pourraient changer les frappes françaises ?
Les Américains, les Canadiens et les pays du Golfe bombardent la Syrie depuis la fin de l'année dernière. Mais leurs frappes n'ont pas empêché Daech de prendre Palmyre et de continuer sa progression. Ce n'est pas un complément limité de la France qui va changer la donne sur le terrain. La situation est différente de l'Irak, où l'action de la coalition a été efficace.
Pourquoi ?
Les deux tiers de la population syrienne sont des sunnites, opprimés par Bachar al-Assad. Paradoxalement, les bombardements de la coalition ont renforcé l'emprise de Daech sur la population. Quand la coalition arrête de bombarder, c'est Assad qui le fait. L'identité des bombes se perd dans le fracs des obus. Les populations lient les deux assaillants et finissent par s'en remettre à Daech.
Pour être efficace, faut-il prévoir une opération au sol ?
Je ne suis pas sûr que la communauté internationale ait les moyens de gérer le conflit en Syrie. Les conditions sur place sont très difficiles. Nous devons concentrer nos moyens sur nos services de renseignement pour identifier, en France, les terroristes potentiels liés à Daech. Propos recueillis par Elodie Bécu
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