le Progrès du vendredi 2 septembre 2016
AFRIQUE - APRÈS L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
Le Gabon sur une poudrière
L'annonce de la victoire d'Ali Bongo a déclenché des émeutes dans la capitale gabonaise (au moins trois morts et un millier d'interpellations).
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ibreville, la capitale gabonaise, s'est réveillée hier avec les stigmates des violences qui ont éclaté la veille, à l'annonce de la victoire du président sortant Ali Bongo à la présidentielle, contestée par Jean Ping et l'opposition. Le boulevard Triomphal, la grande artère qui traverse le centre de la capitale, était jonché de barricades encore fumantes, de bâtiments incendiés et de carcasse calcinées de voitures.
Déserté, le centre de Libreville était quadrillé par les forces de l'ordre, notamment aux abords du palais Léon-Mba (l'Assemblée nationale), incendié mercredi, et du QG de l'opposant Jean Ping, pris d'assaut dans la nuit.
L'Assemblée nationale affichait une façade noircie et des vitres explosées. L'imposant portail a été défoncé par les manifestants et la guérite des gardiens est partie en fumée. Sur le parking, ne restaient que des carcasses de véhicules incendiés par les opposants. Aux abords du palais, la police s'efforçait d'empêcher tout attroupement en tirant des grenades lacrymogène.
Le président Bongo a critiqué l'opposition à propos de cette attaque, jugeant que "la démocratie s'accommodait mal de la prise d'assaut d'un parlement".
Tout au long du boulevard Triomphal, siège des plus grandes institutions gabonaises et de nombreuses représentations étrangères, des barricades de fortune achevaient de se consumer.
Le rond-point de la Démocratie, au bout du boulevard, portait les marques des plus violents affrontements de la veille : magasins pillés et voitures brûlées bordaient les restes de barricades. De nombreux commerces, notamment des épiceries, on d'ailleurs été pillés dans la nuit et hier matin.
Au-delà de la voie express qui borde le rond-point, le quartier du QG de campagne de Jean Ping a été bouclé par les forces de l'ordre. Des policiers anti-émeutes ont procédé à l'arrestation des personnes sortant du QG, qui étaient ensuite emmenées dans des camions vers une destination inconnue.
Au moins trois morts
Le ministre de l'Intérieur a indiqué que les forces de l'ordre ont procédé à "entre 600 et 800 interpellations" dans la capitale, "et 200 à 300 sur le reste du pays". Au moins trois personnes, selon l'opposition, ont été tuées lors de l'assaut du QG de Jean Ping, dont on ignore où il a trouvé refuge. "Je ne me trouve pas au QG. Si j'y étais, j'aurais fait l'objet d'attaque, comme tout le monde", a déclaré l'opposant, joint par Europe 1, hier matin.
Appel au calme
Pour la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini il s'agit d'une "crise profonde". François Hollande a lui appelé "toutes les parties à la retenue et à l'apaisement" et demandé "un processus garantissant la transparence".
Antoine Glaser Auteur d'"Arrogant comme un Français en Afrique" (Fayard, 2016)
"Le risque de guerre civil est réel"
Qui a remporté l'élection présidentielle au Gabon ?
Les observateurs de l'Union européenne ont pointé de multiples irrégularités. La très faible avance d'Ali Bongo n peut que susciter la suspicion. Il est d'ailleurs isolé sur le plan régional et international. Personne n'a vraiment avalisé son élection. D'ailleurs, aucune médiation africaine n'a été proposée pour l'instant.
Des affrontements ont éclaté à Libreville, la capitale, mercredi soir. Une guerre civile est-elle possible ?
Le risque de guerre civile est réel. Ali Bongo est "bunkérisé" et pas prêt du tout à négocier. Il a tout de suite bombardé le QG de Jean Ping. Sa rancune est tenace contre l'ancien mari de sa soeur Pascaline, toute puissante sous la présidence d'Omar Bongo, quand lui, Ali, était marginalisé. Aujourd'hui Jean Ping n'a aucune raison de céder. La société civile gabonaise et les jeunes le soutiennent. Il a promis de ne faire qu'un mandat et de revenir à un scrutin à deux tours pour permettre le débat démocratique.
350 soldats de notre pays sont encore présents au Gabon. Vont-ils intervenir dans cette ancienne colonie française ?
Pas pour aider l'un ou l'autre camp. Si la situation se détériore, ils évacueront les ressortissants français. Certes, Jean Ping dispose de réseaux très importants à Paris, alors qu'Ali Bongo est bien plus tourné vers le monde anglo-saxon, l'Afrique du Sud et le Maroc.
Mais les temps ont changé. Le Gabon n'est plus, comme au temps de la Guerre froide, au coeur du dispositif de la France en Afrique. Les moyens français ont beaucoup sont beaucoup plus limités et les priorités sont différentes. Ces dernières années, la France a allégé ses effectifs militaires au Gabon, pour les redéployer en Afrique de l'ouest, dans la lutte contre l'islamisme radical. Les intérêts économiques de la France - pétrole, bois, manganèse - demeurent mais sont moins importants qu'il y a trente ans. La concurrence est bien plus vive. Le Gabon s'est mondialisé, comme tant d'autres pays africains. Recueilli par Nicolas Ballet
Le règne de la dynastie Bongo
La famille Bongo règne depuis 1967 sur le Gabon :
- Omar, le père, à dirigé le pays pendant quarante et un ans
- Après sa mort, en 2009, son fils Ali a repris le flambeau
Ministre au début des années 1960, peu après l'indépendance du Gabon, Omar Bongo, devient président en novembre 1967, à la mort de Mba. Cet ancien officier, formé en France, fonde alors le Parti démocratique gabonais, parti unique, et règne sans partage sur son pays et sur ses richesses pétrolières (4e producteur d'Afrique). Au fil des années, Omar Bongo accumule un patrimoine faramineux : nombreux comptes bancaires, participation au capital d'entreprises, ou encore biens immobiliers (à Libreville, Paris et Nice, entre autres).
En jouant sur les divisions de ses opposants et grâce au soutien d'une formation politique qui quadrille le pays, il est réélu en 1993 (51 %), 1998 (66 %) et 2005 (79,18 %), à l'issue d'élections contestées par ses opposants. Son décès en juin 2009 propulse Ali Bongo, l'un de ses fils, à la tête du Gabon, après des élections controversées, suivies de violentes émeutes. Plusieurs polémiques ont entaché son mandat. Ses opposants assurent par exemple qu'il a été adopté par Omar Bongo, ce qui lui interdirait la présidence, et surtout, Ali Bongo demeure le symbole et l'héritier d'un régime népotique, dans un pays marqué par la corruption. E.C.
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